Concession des terres à Herakles farms… Des Ong contre les décrets de Paul Biya

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Affaire Herakles Farms. Des Ong camerounaises dénoncent le recul de Paul Biya

Alain NOAH AWANA, Le Messager

Deux organisations non gouvernementales camerounaises estiment que le président de la République a légalisé les activités illicites de l’entreprise américaine dans la région du Sud-ouest depuis 3 ans.

La société civile camerounaise ne lâche pas le morceau. Immédiatement après les décrets présidentiels du 25 novembre 2013, qui octroient près de 20 000 hectares des terres à la Sithe global sustainable oils company (Sgsoc), filiale de l’américaine Herakles Farms, deux organisations non gouvernementales (Ong) locales ont publié un communiqué conjoint pour donner leur position. Il s’agit du Centre pour l’environnement et le développement (Ced) et du Réseau de lutte contre la faim au Cameroun (Relufa). Le communiqué estime en gros que Paul Biya vient de légaliser des activités illégales perpétrées par la Sgsoc/Herakles Farms depuis 3 ans dans la région du Sud-ouest.

« A première vue, les irrégularités constatées au cours des trois dernières années par de nombreux observateurs dans ce projet donnent l’impression d’avoir été corrigées. Ce que l’on peut toutefois retenir c’est que les décrets légalisent la présence et les activités de Sgsoc dans une zone dans laquelle la compagnie a prétendu, depuis 4 ans, détenir des droits pour développer ses activités. Ce faisant, ils exposent paradoxalement les illégalités passées de la compagnie, et son incapacité récurrente à respecter la législation du Cameroun », signent Samuel Nguiffo, secrétaire général du Ced et Jaff Napoléon, coordonnateur du Relufa.

Interrogations

Ce faisant, les deux organisations posent plusieurs interrogations. Relevant par exemple que rien n’est dit au sujet des communautés qui estiment n’avoir pas donné leur consentement à la cession de leurs terres traditionnelles et redoutent dans le même temps des tensions et conflits susceptibles de naître de la pénurie foncière annoncée. En outre, les décrets du président de la République ne disent absolument rien au sujet du bois qui proviendra du défrichage de la forêt, « alors même que des informations font état de convoitises qu’il suscite déjà au sein de la compagnie », soulignent les deux organisations.

Lundi dernier, Paul Biya signait trois décrets portant attribution de concessions provisoires de terres agricoles au bénéfice de la Sgsoc/Herakles Farms dans les arrondissements de Nguti, Toko et Mundemba, dans la région du Sud-ouest. Il s’agit de 20 dépendances du domaine national, d’une superficie totale de 19 843 hectares. L’entreprise devra en outre verser une redevance foncière de 198 millions Fcfa dans les caisses du trésor public, et investir dans la zone près de 260 milliards Fcfa. L’entreprise entend y mettre sur pied une grande plantation industrielle de palmiers à huile et une raffinerie. Même si les décrets présidentiels vont la faire revoir à la baisse  ses ambitions en termes de surface sollicitée.

Rupture

Cette diminution de la superficie, selon le Ced et le Relufa, est un des nombreux points sur lesquels on peut se pencher pour dire que les décrets de Paul Biya marquent une rupture avec les pratiques observées sur le terrain depuis la signature de la convention d’établissement entre la Sgsoc et l’Etat du Cameroun en 2009. La taille de la concession est en effet passée de 73 000 hectares à environ 20 000 hectares. Le prix du loyer de la terre aussi a changé, passant de 500 Fcfa par hectare et par an (montant prévu par la convention) à un montant de 3 333 Fcfa par hectare et par an. Enfin, il y a la durée, qui passe de 99 ans à une concession provisoire de 3 ans, et dont l’extension dépendra du respect des engagements d’investissement par la Sgsoc/Herakles farms.

La situation semble donc avoir évolué, mais la société civile ne cesse de mettre en garde. Pour Samuel Nguiffo, le Cameroun doit éviter de donner l’impression qu’il est prêt à accueillir à tout prix les compagnies sur son territoire, dans des secteurs aussi sensibles que la gestion des terres. « Il est urgent qu’une politique nationale de cession des terres arables avec des critères rigoureux de sélection des investisseurs dans ce domaine soit adoptée, afin de ne pas répéter des expériences comme celle de Sgsoc», recommande-t-il d’ailleurs. Le coordonnateur du Relufa salue quant à lui ces efforts de prise en compte des griefs énoncés au cours des dernières années. Mais, Jaff Napoléon se dit au regret « de constater que les décrets présidentiels n’ont pas réussi le pari de la transformation du projet en un investissement acceptable ». On sent bien que les deux organisations comptent ne pas lâcher prise.